Lortajablog: ça se discute
Je n’ai pas de compétences particulières pour entrer dans un débat sur la « théorie des affects » qui a ses sources dans la philosophie antique ou chez Spinoza et que, notamment, sous l’autorité de Damasio (2001, 2003), la psychologie cognitive contemporaine semble redécouvrir. Je veux seulement, en tant que musicologue de terrain et sur la base d’observations empiriques, m’interroger sur l'étrange capacité qu'ont les hommes (et bien sûr les femmes) d'utiliser la musique pour mettre en oeuvre et en partage leurs émotions.

Cela revient à reconnaître à la musique une propriété singulière, sinon spécifique, et autorise à centrer notre musicologie sur un fait qui est loin d'être anodin :

sitôt qu’ils deviennent musicaux, les sons, qui relèvent de lois physiques et acoustiques naturelles, semblent changer de qualité; Ils se dotent d’un pouvoir sur les affects. De là à affirmer qu’ils sont là pour cela, il n’y a qu’un pas, et c’est ce pas que je veux franchir : ce qui constituerait le propre du musical tiendrait moins à la nature de l’organisation des sons qu’au fait que ces derniers, dans des conditions particulières, acquièrent une dimension affective.

 Mais de leur côté, les affects, aussi sollicités soient-ils, sont tout sauf inertes dans leurs rapports à la musique. En tant que systèmes de pensée et d’action, ils n’ont de cesse de particulariser le champ sonore et de lui attribuer des propriétés sémantico-affectives dont on trouverait difficilement la trace précise dans le son lui-même. Les relations entre les stimuli sonores – qui ne sont jamais de simples stimuli – et l’entendement de ceux qui les produisent ou les reçoivent, sont dans des rapports d'interaction qui n'ont rien d'automatique. Au point qu’il est difficile de savoir qui dirige qui, et qui oriente quoi au cours d’une performance musicale, aussi standardisée soit-elle. La cognition musicale se caractériserait alors par une étrange capacité qui consiste à ne pas faire une distinction claire entre la réalité et l'idée qui lui donne forme et vie.

 Ce n’est pas le débat philosophique en tant que tel qui m’intéresse, mais seulement la situation complexe, dans laquelle le musicologue se trouve, à la limite de l’aporie, et qui demande à être analysée : ancrée dans les  affects – et en partie construite par eux – la musique aurait la propriété paradoxale de nourrir ces affects et – on le verra – non seulement de les nourrir, mais de les construire et de les gouverner. Comment ? En recourant à des codes spécifiques. Ces codes et le système qu’ils recouvrent doivent être vus comme l’indispensable courroie de transmission entre le son dans sa dimension physico-acoustique et les effets qu’il produit. D’où l’hypothèse selon laquelle une musique serait d’autant plus musique qu’elle est capable d’assumer cette opération de médiation avec efficacité,  et qu’elle établit avec fluidité une relation entre une réalité acoustique objective et une représentation psychologique subjective. De façon imagée et synthétique, on pourrait dire que la musique cultive les affects légèrement ensommeillés en chacun de nous, en se servant de formes sonores qui ont pour principal but de les exciter. Bref de mettre ces affects en action ou, pour mieux dire, en ré-action, car la première action est bien celle qui met en vibration un corps, le rendant immédiatement sonore et perceptible. Cette mise en vibration crée tout aussi immédiatement une réaction émotionnelle associant étroitement le son émis et l’action de l’entendement. Cette association est concommitente, mais peut, bien entendu, revenir à la surface de la conscience avec la réactivation de son souvenir.
 

C’est l’ensemble de ce processus que nous appelons « musique » : soit, un ensemble de sons organisés, bien sûr, mais qui sont musicaux dans la mesure où ils vous touchent. Disons même qu’ils sont d’autant plus musicaux qu’ils vous touchent

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En résumé, la musique serait à la mesure des effets qu'elle produit. Dans cette hypothèse, le champ qu’elle couvre – et donc sa définition  même –  ne peut que s'évaluer et se proportionner à eux. C'est de cette façon – et pas autrement – que, selon nous, se balise le champ musical, lequel doit s'aborder  non pas en tant que substance objective, mais en fonction des réactions qu'il provoque ou induit, tout en tirant son existence et ses fondements d'une sensibilité pan-humaine (ce que nous dit, on ne peut mieux, John Blacking, 1973). Ce champ se cultive par l'intermédiaire d'expressions sonores fortement diversifiées (ce que nous rappellent constamment les ethnomusicologues) . De ce point de vue, la culture – ou plutôt les cultures – n'auraient d'autres fonctions la création ou la reproduction de formes affectivement efficace1.
                                                                                            
Cette définition implique à la fois un rétrécissement et un élargissement du champ musical – et donc de la musicologie qui en fait son objet. Un rétrécissement, car si la musique ainsi définie s’enferme étroitement dans les seuls effets qu’elle induit, elle devrait, en bonne logique, exclure les sons, aussi organisés fussent-ils, à partir du moment où ils n’affectent personne (et sans doute en existe-t-il de la sorte). Mais aussi un élargissement, car du même coup, entrent d’autorité dans l’ordre du musical tous les sons organisés subjectivement dotés d’une puissance affective par ceux qui les produisent ou les écoutent.
 

Ceux-là même qui s'écoutent (Orgosolo, 1979)
Ceux-là même qui s'écoutent (Orgosolo, 1979)
 
                                                                

Il apparaît également que l’affectivité caractérisant l’espèce humaine – et probablement pas uniquement elle – a un caractère paradoxal :
1) Elle se soumet à l’action (celle du son produit). 2) Mais elle est, elle-même, action. Elle a en effet une existence organique qui la rend partiellement indépendante des stimuli susceptibles de l’activer, mais semble en même temps à l’affût de ces stimuli 2 :  en tout premier lieu, aux sons organisés qui, selon ce qui vient d’être dit, sont d’autant plus musicaux qu’ils sont aptes à répondre à une attente affective et lorsque, pour reprendre l’expression de Jean Düring , «quelque chose se passe ».
Une telle approche n’est pas sans incidences théoriques. Elle invite à voir la musique autrement qu’un système clos, auto-référencé et dont les propriétés seraient, à ce titre-même, objectivables ; moins comme une fin en soi que comme un device (d’autres diraient « agency ») au service de conduites émotionnelles avec lesquelles elle entretient des relations d’étroite contiguïté.

La conséquence d’un tel point de vue est de taille : la musicologie, dès lors invitée à se recentrer sur les processus cognitivo-affectifs3 , devient une science du sujet  4 – d’un sujet qui pense la musique en même temps qu’il la produit ou la perçoit5

Au fond, cette conception de la musique – le champ qu’elle embrasse  et la définition qu’elle induit – emprunte les pistes défrichées par Jean-Jacques Rousseau, pour qui la musique est d’abord la langue des sentiments [cf.@].– sentiments à la fois communs à l’humanité et soumis à des conventions ou habitudes culturelles [cf. le magnifique texte, d’ailleurs fort connu, sur le  « ranz des vaches », qui, au XVIIIe siècle faisait pleurer les Suisses, et seulement eux, et qui, dans quelques cantons isolés de la République helvète, doit les fait pleurer encore].
 

Pour une musicologie annexionniste

La musicologie que je propose est à l'évidence expansionniste et annexionniste. Elle entre en effet de plein pied dans un vaste territoire relevant habituellement de la linguistique – essentiellement la prosodie, la pragmatique et la sémantique – au motif qu'aucun de ces secteurs n'appartient en propre à l'usage de la langue. En effet, la prosodie (et l'intonation) touche au mélodique et à ses diverses modalités musicales; la pragmatique à des conditions d'énonciation, qui sont le plus souvent communes aux deux domaines; quant au sémantique, il n'a, bien entendu, pas nécessairement besoin de la langue pour exister. Et, précisément, dans l'optique que je défends, l'aspect sémantique de la musique est essentiel. Et je reviendrai, bien entendu sur ce point.
 

En fait, il ne s’agit pas seulement de reconnaître que toute parole, en tant qu’unité signifiante, est susceptible d’être musicalisée et que tous les mots de la langue sont susceptibles d’être affectés par la vocalité, mais de considérer que la musique investit le sens bien au-dela des simples mots de la langue

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Bref,Non seulement le sémantique se passe difficilement de l’expression musico-orale, mais dans de nombreux cas, il la requiert absolument. Car non seulement les grandes émotions primaires, comme la colère ou la peur,  sont susceptibles de musicaliser la voix indépendamment des paroles qu’elles véhiculent (en d’autres termes, c’est le ton de la voix et non les mots proférés qui vous indiquent qu’il y a peur ou colère),  mais bon nombre d’expressions sémantiques ne sont pas strictement linguistiques mais, plus globalement,  sonores – ces  points seront abordés dans le chapitre :  "un langage des affects".

Tralalère
Tralalère
Ecoutons-voir : Tout le monde connaît cette formulette enfantine [1] :  elle exprime le défi, lequel prend son sens à l'intérieur de joutes impliquant à la fois la rivalité et la complicité. Cette formulette tire son efficacité moins du contenu des paroles qu'au contour mélodique qu'elles adoptent – toujours le même. Ce contour caractéristique suffit à  "faire passer le message" et n'importe quel texte verbal pourra l'emprunter pour un résultat équivalent.

Chaussettes
Chaussettes
Les trois dernières notes finales étant seules porteuses de sens via leur contour intonationnel, il s'ensuit que la forme musicale est extensible quasiment à l'infini.  On peut très bien dire, par exemple [2] :  'Tes chaussures, et celles de ton frère et celles de ta soeur, elles sont pas jolies" (j'ai entouré la formule signifiante).

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Notes

1 . Cela revient à dire que les affects ne peuvent s'abstraire des relations sociales et culturelles dans lesquelles ils s’inscrivent. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils en dérivent et on peut au contraire penser qu'ils sont là pour les rendre possibles.  Dans cette perspective, l’"autre social"  ne peut être vu comme une abstraction et encore moins prendre la forme d'une règle durkheimienne; il est fait de chair et de sang, pourrait-on dire et implique le sujet dans un système de co-identification de l'autre et de soi [cf. la thèse en cours de Filippo Bonini Baraldi traitant de l'empathie].  Concrètement, cela revient à considérer que si on accorde à l’autre la possibilité d’éprouver joie ou souffrance, c'est parce qu’on a soi-même éprouvé joies et souffrances, soit en synchronie avec lui, soit dans une expérience précdente. Si cela est vrai, la culture des affects devrait être le meilleur des remparts contre la Barbarie.

 
2 . Ce paradoxe – ou cette contradiction apparente – semble levé par les positions de Damasio dans son Spinoza avait raison (Odile Jacob, 2003), posant les principes d’une relation organique entre les stimuli et leur représentation (« on ne peut séparer conceptuellement le stimulus ou déclencheur et le mécanisme déclenché » [page...] ,  et en considérant que les stimuli, qu’ils soient internes et externes utilisent des schémas cognitifs identiques (e.g. la faim et le humage d’un mets qui la déclanche).
 

3 . Pour cette étroite relation entre cognition et affect, voir Damasio : L'erreur de Descartes [1994] (Edition française Odile Jacob 2001).

4 .Ce qui ne veut pas dire qu’elle ait nécessairement à se perdre dans les dédales obscurs et sans grande issue scientifique des subjectivités. Pour cette précision, cf. B. Lortat-Jacob,  « Les chemins escarpés des sciences musicales » publié en 2009 et sous une forme un peu différente, en italien : « L’etnomusicologia: una scienza che include il soggetto nell’ oggetto ». Il n’en reste pas moins qu’un affect ne pouvant être affect que dans la mesure où il vous touche, une musicologie fondée sur les affects ne peut être que du sujet.

5 . On notera que cette position se démarque très nettement du schéma tripartite de Molino-Nattiez, qui propose une opposition drastique entre producteurs (ou production) et récepteurs (ou réception).

 

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"En savoir plus" 

Commentaires critiques de ce texte  : 

 


COMMENTAIRES  :


KATI BASSET, spécialiste de la musique balinaise et du gamelan, réagit à ce texte – voici une partie de ses commentaires, sélectionnée par moi :

 Une autre conception de la musique :

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1) Kati B. remet fondamentalement en cause la dimension affective de la musique. Je cite :

« – d’une part, la musique de gamelan,  dans sa fonction première rituelle, n’est ni écoutée, ni entendue comme autonome ; elle ne fait pas appel à une conscience de son existence.
 – d’autre part, elle semble refuser de toucher les affects, ou en tout cas refuse de susciter des sentiments et détache des affects individuels; elle tend à homogénéiser un affect dépersonnalisé et désincarné, un affect physico-socio-cosmique, comme le fait une musique d’ameublement ou un code signalétique »
[…]
cette musique « meuble » un microcosme sciemment construit par le rituel, où figurent bien d’autres meubles/composantes (= offrandes) sonores, olfactives, visuelles. Ce qui touche éventuellement les affects c’est le tout, car il n’y a aucun focus d’attention; ce n’est même pas vraiment possible d’avoir un focus de perception sur une danse ou une musique : c’est le tout qui est perçu, c’est le tout qui est visé et c’est le tout qui est "ramé", profus, alias "ramya" : beau.
[...] Par son agencement arithmétique de sons, la musique ne fait pas appel à des sentiments, et homogénise dans le public une perception plutôt signalétique. Mais cela dans un cadre (pas si particulier car c’est pareil dans la rue ou dans une kermesse) où la perception du tout rituel, elle, n’est pas homogène, bien au contraire. A l’opposé de l’écoute à la messe ou en salle de concert, où l’on s’efforce d’offrir une perception homogène et simultanée à toute l’audience, on entend quelque chose de différent selon l’emplacement où l’on se trouve. Or, chaque personne a l’occasion ou le devoir (tous les gens sont plus ou moins acteurs; il n’y a pas de public) de se déplacer dans l’espace du rituel. Chaque personne, sauf les initiés : grand-prêtre, dalang, porteurs de masques. »
[…]
« [Il n’en reste pas moins que]   le mandala musical – cf. le gamelan mécanique sur le site de la cité de la musique – est auto-référencé et a des propriétés objectivables. On pourrait même supposer que même inconsciemment perçu, c’est le mandala qui est efficace; c’est lui qui élève la perception en la détachant des affects individuels ».

2) Les conceptions balinaises ne doivent rien à Jean-Jacques Rousseau :

« Rien ou quasiment rien de la musique de gamelan ne pourrait répondre aux conceptions d’un Jean-Jacques Rousseau. Et d’ailleurs, pour aborder l’étude du gamelan, il faut oublier notre « musique comme langage » pour la voir comme architecture. Et je sais que cela vaut aussi pour certaines des musiques sacrées occidentales conçues comme cathédrales sonores. Ou pour être plus juste, si on la considère comme langage, il faut oublier le langage profane, la phraséologie quotidienne, et l’envisager avec son « double » qui lui permet de régner secrètement également en architecture, médecine, magie et autres domaines : aksara, mantra- graines et tous les agencements orientés, cardinaux (spatio-temporels non linéaires) de ce niveau sacré du langage ou langage divin (en tant que les dieux hindous sont des principes naturels).
Même les faits d’intonations sont en relation avec l’architecture du corps virtuel de l’initié — elle même copiant l’architecture cosmique —, car sciemment elles consistent à faire vibrer tel ou tel emplacement du système vocal où se trouve inscrit tel ou tel askara et tel ou tel valet du théâtre. En effet, la technique vocale des dalang [montreur de marionnettes]  est acquise sur la base des voix des 4 valets (Tualen, Merdah, Delem, Sanggut) inscrits dans son corps, en prononçant les noms de quatre épices (gamongan, kunyt, jahe, et j’ai oublié le 4e) y correspondant  :  les sons de ces quatre mots sont ceux des voix respectives des quatre valets) […]. [En résumé, pour comprendre la musique de Bali], on ne peut se passer d’une étude stucturale. » cf. lien ci-dessous

<www.cite-musique.fr/gamelan/text_a26.html>

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Katell MORAND (Thèse en cours sur la musique d'Ethiopie). 


Affects et contexte

Il me semble que poser une interaction entre musique/affect/social, avec une place centrale – et surtout gouvernante (au lieu d’être ornementale) – pour les affects, est effectivement une hypothèse très forte. Cela n’a rien à voir avec la musique mais j’ai été très marquée par les livres de Franz de Waal sur les grands singes, en particulier sur les conflits et la réconciliation, et sur la morale, où on les voit à la fois émotionnels et calculateurs (tout un chapitre sur l’empathie, qu’il appelle plutôt « sympathie », dans le bon singe). Il est donc probable, comme il est dit dans la note 1 du texte de B.L.-J, que les affects soient au fondement des relations sociales.

Pour en revenir à la musique, je trouve que cette histoire d’affect pourrait nous amener à redéfinir ce qu’on entend par contexte. On fait souvent comme si la musique se surajoutait à une situation déjà présente, stable, et qu’il suffisait de la décrire pour comprendre les pourquoi sociaux d’une performance, pour « remettre la musique dans son contexte », comme nous disons. Mes idées sur la question sont confuses, mais j’ai l’impression que le « contexte » de la performance non seulement ne préexiste pas à la musique, mais qu’il est créé par les émotions que suscitent la production musicale et son écoute. Deux petites histoires peuvent illustrer cela :

- A mon dernier séjour [chez les bergers amhara, en Ethiopie] Fasigaw sort de prison. Dans ces circonstances, une grande fête devait être organisée par la famille. Or Fasigaw (dont l’épouse est mon hôtesse) a tué son grand frère Malaqu ainsi que son fils. Il a béneficié d’un acquittement après une réconciliation avec l’épouse, le fils aîné, et les filles du défunt – réconciliation qui a privé l’accusation de témoins. Il revient donc à la maison après cinq années d’absence, dont deux de cavale dans la forêt. Sa femme a gardé d’excellente relations avec les autres frères et avec la famille nucléaire du frère assassiné.  Il est hors de question de faire la fête, par respect pour elle, et puis parce que le crime continue de passionner le voisinage et est vécu comme un drame originel dans la famille (cela occupe pratiquement toute l’inspiration musicale et des souvenirs de ceux qui sont bergers). Tous les gens des alentours convergent cependant vers notre maison ; et rien ne manque à ce qui devrait être une fête, invités, nourriture, alcool. Rien, sauf la musique, tacitement interdite. Pourquoi ? Parce que ce serait une provocation, m’a t-on répondu, on ne peut pas être heureux. Et sans musique, pas de joie. L’assemblée s’est donc cantonnée à une sorte de platitude émotionnelle convenable (beaucoup d’ennui, en fin de compte) pour un événement qui faisait problème (impossible à la fois de refuser d’accueillir des invités et de célébrer l’événement).
    Ce n’est donc pas la joie des gens, due au retour d’un frère, oncle, cousin aimé qui les ferait chanter – donc un contexte – , mais la musique qui aurait créé la joie, le bonheur, et donc l’amour (ou du moins, une situation qui, dans le cas présent, remettrait sur le tapis des relations douloureuses et un statu quo difficilement assumable (comment la mère pourrait-elle pardonner le meurtre et se réjouir, affirmer l’amour pour l’un de ses fils sans renier l’autre ?). Sans musique, c’est donc un non-événement, un non-contexte. C’est dans l’intimité, les jours suivants, que j’ai pu constatr une joie intense chez les bergers (souvenirs heureux de l’époque antérieure au drame, que je n’avais jamais entendus auparavant, et dont on m’a dit qu’ils étaient (ré)suscités par la situation).

- Trois semaines plus tard eut lieu l’anniversaire de la mort du frère Malaqu.  Et là, pareil : on ne chanta pas les chants de funérailles pourtant indispensables en cette occasion), car on ne pouvait pas être triste : il ne fallait pas que la famille (surtout les enfants du mort) pleure, car cela raviverait la colère et le ressentiment. Il y aurait donc la cérémonie habituelle (prêtres, banquet, etc.) mais pas de musique, ce qui vidait l’événement de sa substance : la tristesse et, dans le cas d’un meurtre non vengé, (car ces cérémonies sont aussi des rappels à leurs devoirs pour les hommes de la famille), le sentiment de colère et l’envie d’en découdre. Un des frères, celui-là même qui avait œuvré à la réconciliation, m’a assuré qu’il veillerait à ce que personne ne chante. Les jours suivant la cérémonie, les bergers chantèrent beaucoup de chants de funérailles dans leurs pâturages…

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